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La Ravoire - Sanatorium
15 mai 2016

14 ans – 5 mois et 7 jours après ma naissance ..

13 ans et quelques mois

C’est l’âge que j’avais quand je suis tombée malade

Nous n’avons jamais été des gens riches, mais nous n’avons jamais été des gens pauvres. Nous avons toujours eu de quoi nous nourrir convenablement. Selon les clichés nauséabonds sur la tuberculose je ne devais jamais l’avoir et pourtant ..  

C’est mon père qui m’a contaminé, mais ce n’est pas vraiment de sa faute. Nous sommes des rapatriés d’Algérie où mon père gendarme a été blessé l’année de ma naissance. Il a contracté la tuberculose comme une suite logique à cette blessure.

Il a été le premier à partir en France en 1959, pour y être hospitalisé, nous l’avons suivi en 1963.

A chaque fois que les médecins pensaient qu’il n’était plus contagieux, il avait le droit de rentrer, et moi je découvrais à chaque fois mon père. Parfois ce n’était que pour quelques semaines, parfois pour quelques mois. Et à chaque fois je grandissais avec l’espoir que ce serait la dernière fois qu’il devrait nous quitter encore pour un sanatorium quelque part en France.

En 70, il est rentré pour une très longue période, et j’ai pu vivre normalement avec mon père et toute ma famille. Il ne semblait pas malade, et à part ses piqures quotidiennes contre le diabète, il menait une vie normale, avec nous. Je me promenais avec lui dès que j’avais un instant de libre. Il m’emmenait voir ses amis, au café, chez son ami le cordonnier. J’étais fière de déambuler avec lui dans les rues de Montpellier. Il m’achetait des fougasses, des tielles. Il m’emmenait chercher la première pèche à Palavas.

Nous étions complices, j’étais la dernière et il profitait de chaque moment qu’il pouvait passer avec moi. Je lui racontais mes histoires de cœur, mes joies et mes déceptions.

Ma mère surveillait de près notre relation père-fille, car elle était en permanence à surveiller les premiers signes d’une énième rechute pour mon père. Elle se brusquait quand j’embrassais trop mon papa, j’ai toujours cru que c’était de la jalousie. Elle m’expliquait que la maladie de mon père pouvait me rendre malade, et que je devais prendre des précautions, mais moi je l’accusais d’être jalouse de l’amour que j’avais pour mon père. Plus elle me disait d’être prudente, de ne pas l’embrasser ou de ne pas me serrer contre lui, plus je le faisais car pour moi elle voulait juste se mettre entre nous. Je n’ai pas compris qu’elle voulait juste me protéger de la maladie de mon père. Et elle n’a jamais compris que je profitais de lui tant que je le pouvais pour rattraper tout le temps de son absence.

La maladie ne signifiait rien pour moi, la mort non plus. A cet âge, nous pensons être éternels. Comment imaginer dans la tête d’une enfant que la personne qu’elle aime le plus est tellement malade qu’elle doit être évitée, qu’il faut prendre des précautions pour lui parler, pour l’embrasser, pour avoir juste des relations normales entre un père et son enfant.

Mon père sans me repousser, essayait lui aussi de me faire comprendre que je ne devais pas être tout le temps près de lui. Il a essayé de me faire admettre sa maladie, chose que je ne pouvais pas admettre – imaginer – comprendre – accepter

Tout cela a basculé durant l’année 1971, ma première 4ème. J’étais souvent malade. Je grandissais trop vite et je n’étais pas épaisse. Je faisais des angines à répétition, des bronchites à n’en plus finir, et je n’allais pas souvent à l’école, clouée au fond de mon lit.

J’ai fêté mes 14 ans, en décembre avec mon papa, ma mère, et c’était juste le bonheur car tout semblait s’arranger pour moi, je ne toussais plus, je ne crachais plus, et je commençais à m’alimenter presque normalement. Je pouvais faire du sport sans être essoufflée ou au bord de l’étouffement.

Fin Avril 1972, le collège a organisé une visite médicale pour la prévention de la tuberculose. Et c’est là que tout a basculé pour moi. C’était un vendredi après midi avant le 1er Mai ..

En rentrant de l’école ce jour là, ma mère m’a annoncé que mon père était reparti dans un sanatorium près de Nantes, car il était à nouveau contagieux et même cette fois gravement malade. Je n’avais rien vu, je n’avais pas voulu reconnaitre les symptômes de la maladie que je connais pourtant par cœur. Mon père toussait à nouveau, crachait de plus en plus, et refuser de faire quelques activités que ce soit avec moi. Il semblait fatigué, et il trainait sa vie.

Vers 19 heures, alors que je faisais mes devoirs, une personne du lycée est venue à la maison. Les résultats étaient tombés. J’avais une énorme tâche sur le haut du poumon gauche, et par mesure de précautions, je ne pouvais pas revenir à l’école le lundi.

A cet instant, je n’ai pas compris que j’allais devoir rester tout le temps chez moi, que je n’avais plus le droit de voir mes amies, de sortir le chien ..

Ma mère semblait désespérée et forte en même temps. Après le départ de la personne, elle a pris contact avec le pneumologue de mon père pour lui expliquer la situation

Le samedi matin, nous sommes allées toutes les 2 chez lui et tout de suite la décision de me faire partir est tombée. D’après ce médecin, cela faisait plusieurs mois que j’étais malade, mon médecin de famille aurait pu voir les signes, mais j’avais un BCG positif, et pour lui c’était suffisant.

Je ne comprenais rien à rien, j’étais malade, je ne pouvais plus voir personne, je devais rester cloitrée à la maison avec ma mère jusqu’à ce que je parte. Je pars mais où ? Avec mon père près de Nantes ?

Et voilà comment je me suis retrouvée à la Ravoire, malade, tuberculeuse, contagieuse avec l’épée de l’opération au dessus des épaules d’une gamine de 14 ans qui ne comprenait pas ce qui lui arrivait.

14 ans – 5 mois et 7 jours après ma naissance .. 

Du temps de la Ravoire

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